fr
Moondog, le Viking de la 6eme Avenue ! ou comment un musicien aveugle, sans-abri et habillé en Viking devint une des figures centrales de l'avant-garde à New York, admiré par Charlie Parker, Steve Reich ou Janis Joplin.
Louis Thomas Harding (1919-1999) alias Moondog est sans doute l’un des compositeurs et musicien américain les plus influents de sa génération.
En 1922, alors qu'il est encore enfant, il visite avec son père une réserve indienne Arapaho et assiste à une danse du soleil. C'est une expérience musicale forte, les rythmiques indiennes et la sonorité des percussions resteront présentes dans ses compositions.
10 ans près, en 1932, un bâton de dynamite lui explose au visage et l'aveugle de manière permanente. Il s'inscrit alors dans un école pour non-voyants dans l'état de l'Iowa et il y apprend le solfège, le violon, le piano et l'orgue.
Pendant la seconde guerre mondiale, il habite New York, où il passera les trente années suivantes de sa vie. Il fait la connaissance du compositeur et chef d'orchestre Leonard Bernstein et du chef d'orchestre Arturo Toscanini, il fréquente également des musiciens de jazz brillants comme Charlie Parker et Benny Goodman. Il assiste pendant un temps aux répétitions de l'Orchestre Philharmonique de New York, mais son style vestimentaire extravagant le coupe peu à peu du monde de la musique « sérieuse ».
Il porte la barbe et a les cheveux très longs. Il décide de ne plus porter que des vêtements qu'il fabrique lui-même, notamment une cape et un casque de viking inspiré par la mythologie nordique. En 1947, il prend le surnom de "Moondog".
En 1949, il commence à jouer dans la rue à Manhattan. Il chante, récite ses poèmes, joue de ses instruments, des modèles uniques qu'il a conçus, les "trimbas", des percussions triangulaires, le "oo", un instrument à cordes triangulaires, le "Ooo-ya-tsu", le "yukh"... Le succès est tel que la foule encombre la rue, l'obligeant à se déplacer. Il finit par s'installer dans le quartier des clubs de jazz sur la 6e avenue. C'est à cette époque que ses vêtements atypiques et sa présence à cet endroit lui vaudront le surnom de « Viking de la 6e avenue ». Les ambiances de la ville seront intégrées aux morceaux du disque "On The Streets of New York" (1953) avec des compositions de cette période. Moondog enregistre aussi, pour le label Epic en 1953 "Moondog and his Friends", et pour Prestige en 1956/57 "Caribea Sextet/Oo Debut", "More Moondog" et " The Story of Moondog", et "Tell It Again" en 1957 pour la maison de disques Capitol.
Au début de sa carrière, Moondog est un musicien de jazz un peu farfelu qui tente d'ajouter quelques influences amérindiennes aux rythmes afro-américains qui sont le corps traditionnel du jazz. Mais il a, peu à peu, selon ses propres dires voulu revenir aux techniques d'écriture classiques : le contrepoint, l'harmonie et la sévérité des règles traditionnelles.
En 1967 Janis Joplin et son groupe, The Big Brother and The Holding Company, reprennent "All is Loneliness", enregistré par Moondog en 1949.
En 1969 il rencontre et se lie avec les jeunes compositeurs Philip Glass, Steve Reich puis Terry Riley, avec qui il travaille un temps.
La Columbia/CBS, qui a édité les premiers albums de Steve Reich en 1967, lui donne l'occasion d'enregistrer ses œuvres avec un grand orchestre. Les deux albums alors publiés, "Moondog" en 1969 et" Moondog 2" en 1971 (réédités ensuite sous un seul CD appelé "Moondog" en 1989), lui assurent une certaine réputation auprès d'autres artistes d'avant-garde. Moondog se produit avec Allen Ginsberg, Lenny Bruce, dans des films avec William S. Burroughs.
En 1974, il est invité à donner un concert à Francfort et découvre l'Allemagne. Il se sent alors plus proche intellectuellement de l'Europe que des États-Unis et décide de s'installer en Allemagne, à Münster
C'est là que Moondog passera le reste de sa vie. Le label allemand Roof Music publie "Moondog in Europe" en 1977/78, "H´art Songs" en 1978, "A new sound of an old instrument" en 1979, une série de pièces pour orgue en solo ou en duo.
Dans les années 1980, seulement deux disques de Moondog, "Facets" en 1981, "Bracelli" en 1986, sont publiés. Moondog se consacre à la composition d'oeuvres.
Moondog se produit régulièrement sur scène : à Herten et Recklinghausen en 1981, Paris en 1982, Salzbourg en 1984, aux Trans Musicales de Rennes en 1988. En 1989, invité par Philip Glass, il fait l'ouverture du New Music America festival à New York et dirige le Brooklyn Philharmonic Chamber Orchestra.
Sensible aux questions de l'écologie, Moondog enregistre, en 1992, l'album "Elpmas", manifeste contre les mauvais traitements infligés aux peuples aborigènes, à la nature et aux animaux, ainsi qu'une mise en garde sur les risques liés au progrès de façon générale.
En 1995, Moondog est invité par le Meltdown Festival à Londres avec le London Saxophonic et le London Brass. Moondog et le London Saxophonic enregistrent "Sax pax for a pax" en 1997.
Moondog donne son dernier concert en juillet 1999 au Festival MIMI d'Arles, et meurt à Münster, le 8 septembre 1999, à 83 ans.
Le talent de ce musicien atypique et marginal a été reconnu tardivement. Un de ses titres connaît une célébrité posthume, Bird's Lament, un hommage au musicien de jazz Charlie Parker surnommé « Bird », devenu l'échantillon sonore (sample) du Get a move on du DJ anglais Mr Scruff.
Son œuvre est considérable. On lui attribue 300 œuvres vocales et instrumentales (qu'il appelle « madrigaux, passacailles, canons », etc.) et plus de 80 « symphonies », c'est-à-dire des œuvres pour orchestre.
De nombreux artistes ont rendu hommage à Moondog par le biais de concerts et/ou d'albums comme Sylvain Rifflet & Jon Irabagon "Perpetual Motion" en 2014 ou Katia Labèque et son album "Moondog" édité en 2018.
Moondog : Anthologie 1953 - 1957, Double CD RDM Edition à commander ICI